L'éducation des filles à la fin du XIXe siècle
L’éducation des jeunes filles de bonne famille se fait généralement au couvent car on considère que la religion doit faire partie de l’éducation féminine, pour garantir la moralité et la stabilité du foyer. Cependant, un petit examen sur le contenu de cette éducation révèle une pauvreté navrante. Au couvent, les jeunes filles apprennent le dessin, la musique, la broderie, la tapisserie et la danse. Ajoutons un peu de culture générale : grammaire, arithmétique, géographie, histoire. Cette description est grosso modo conforme aux livres d’école des filles Martin. On trouve en plus dans leur bibliothèque un précis de mythologie, des éléments de physique et de chimie, et même un livre d’éléments de la langue anglaise appartenant à Céline. Mais ne rêvons pas : le livre scolaire type des sœurs Martin mesure 14,5 cm par 9 et avec une typographie assez large ; le contenu d’un de ces livres tiendrait dans un ou deux bons articles de magazine. Si les jeunes filles rêvent d’en savoir plus, elles doivent compter sur leurs frères pour des leçons particulières, comme le fit une Madeleine Sophie Barat pour apprendre grec et latin avec l’accord de ses parents. (Fondatrice du Sacré-Cœur. « Ses parents satisfaisaient volontiers ses goûts pour l’étude, où la dirigeait son frère aîné, lui-même très brillant élève du collège de la ville de Joigny.» cf. Geoffroy de Grandmaison, La Bse Mère Barat 1779-1865, Paris, Gabalda, 1909). Enfin, l’accent est mis sur les “bonnes manières”, ce code de savoir-vivre. “Ne ridez ni le front ni le nez, recommande un manuel de conseils à la jeunesse du milieu du siècle; ne tenez les lèvres ni trop serrées ni trop ouvertes, et ne faites ni mines ni grimaces. (…) Il faut éviter (…) une tenue prétentieuse, des airs moqueurs, des mouvements brusques, une contenance hardie, des signes impertinents et protecteurs, des sourires mignards, des gestes de bouffon, une pose nonchalante, etc.” Ce texte analyse avec un étonnant luxe de détails la façon de se tenir debout, assis, de marcher, saluer, parler… On est accablé par le nombre incroyable d’interdictions dont il se compose : regard, tête, cou, démarche, posture, représentant un assujettissement de tous les instants pour les jeunes filles surtout. Les sœurs Martin ont un manuel de ce genre: Clarisse JURANVILLE, Le savoir-faire et le savoir-vivre dans les diverses circonstances de la vie: guide pratique de la vie usuelle à l’usage des jeunes filles, Paris, Boyer et Cie, [1885]. Résumons la formation de la jeune bourgeoise : culture générale, savoir-vivre et arts d’agrément, le tout rythmé par des prières et lectures édifiantes. Les loisirs (les filles Martin se promenaient au Jardin de l’Étoile, jardin privé réservé à quelques grandes familles sur abonnement annuel de 30 F.), amitiés et pensées sont plutôt contrôlées : on ne cherche pas à traduire cette formation par une émancipation personnelle. Car il reste dangereux pour la femme, juge une Eliza Guizot, de se livrer aux plaisirs de l’esprit, aux occupations intellectuelles - le siècle redoute l’accès incontrôlé des femmes à l’écrit. Oeuvrant paradoxalement pour la même cause, les lois scolaires de Jules Ferry (1882) modifieront la navrante situation d’infériorité faites aux filles. Ferry et les républicains commencent par déposer deux projets de lois en 1879. De pair avec les expulsions de religieux, il est question d’anéantir le monopole quasi clérical de l’instruction des jeunes filles. Persuadé que “celui qui tient la femme tient tout”, Ferry crée en 1880 l’enseignement laïque de jeunes filles en faisant voter le 21 décembre 1880 la loi Camille Sée. L'année suivante, c'est l’École Normale Supérieure de jeunes filles, avec la loi du 26 juillet 1881 fondant l’École Normale Supérieure de jeunes filles de Sèvres.
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Lire la suite de cet article : Horizons de femmes à la fin du XIXe siècle à Lisieux, in Thérèse carmélite - Colloque du Centenaire, aux éditions du Cerf.